On aurait pu croire que la Coupe du monde 1950 était un festival organisé exclusivement pour glorifier l’ego national brésilien. Les organisateurs avaient déjà commandé les pièces de monnaie commémoratives, le journal local offrait la photo des champions (avant le match, soyons efficaces), et la planète entière se préparait à célébrer la victoire verte et blanche dans un Maracanã rempli jusqu’à la goutte de sueur. Pour l’Uruguay, le scénario était simple : jouer le figurant face à des Brésiliens sûrs de leur fait.
Le duel n’avait rien d’une finale classique. Le format de la compétition, une poule finale, permettait au Brésil de se contenter d’un match nul. Autant dire que les bookmakers n’avaient pas misé gros sur les voisins d’en face. Pourtant, à la mi-temps, ce grand stade sonnait encore d’occasions brésiliennes ratées, d’espoirs qui s’envolent et de balles détournées par Barbosa. À la reprise, le but de Friaça lève enfin le couvercle : explosion de joie, promesse de triomphe. Et puis, l’Uruguay se dit que les défaites programmées ne l’intéressent pas. Schiaffino égalise, Ghiggia crucifie tout ce qui bouge. Silence de mort, et pas qu’au sens figuré… Le Maracanã devient le plus grand mouroir émotionnel de l’histoire du sport, le Brésil passe du blanc au jaune en une crise d’identité nationale.
Pendant que les Uruguayens fêtent ce que l’on n’osait plus imaginer, le drame s’installe chez les hôtes : légendes pleurant à genoux, dramaturges parlant d’Hiroshima footballistique, et Barbosa gardien maudit à jamais. Même Pelé affirmera qu’il n’a jamais pleuré autant pour une défaite. L’impact, immense et durable, transforme tout un pays : le Brésil, désormais privé de titre, retire son maillot blanc pour ne plus jamais goûter aux joies de la virginité chromatique. On retiendra que le grand favori n’avait qu’à tenir le nul, mais la garra charrúa uruguayenne avait décidé, avec talent et cruauté, de gâcher le carnaval préparé.
Finalement, ce “Maracanazo”, ce n’est pas juste un match perdu : c’est l’humiliation suprême, le mariage raté avec la gloire, la défaite qui fait recette dans les mémoires, et une légende sportive où l’arrogance se paye cash. Qui pensait qu’on pouvait humilier 200 000 personnes simultanément ? Réponse : Ghiggia, Schiaffino… et tous les Uruguayens restés lucides pendant que le Brésil s’inventait déjà des histoires de victoire.