Wimbledon, été 1980. Sur le gazon, ni tempête ni accalmie : juste Borg, surnommé « IceBorg » pour son calme glacial, face à McEnroe, notre volcan new-yorkais adoré du public britannique… ou pas. Au menu, cinq sets, des revers acérés et ce quatrième set, ode à l’absurdité sportive où le tie-break s’étire sur 34 points et 22 minutes. McEnroe, alternant génie et exaspération, sauve cinq balles de match dans ce jeu décisif, pour finir par s’imposer 18-16 et faire pâlir les vendeurs de pop-corn. Les spectateurs, partagés entre hystérie adolescente et stupeur royale, assistent à ce bras de fer – ou plutôt de nerfs – que la rhétorique sportive ose encore appeler un « simple match de tennis ».
En face, Borg reste de marbre. Après avoir laissé filer ce quatrième set grandiose, le Suédois, déjà quadruple tenant du titre, repart à zéro, froid comme un congélateur scandinave. Les stats s’affolent, le Centre Court vacille, mais c’est « IceBorg » qui écrase les doutes : 19 points consécutifs sur son service dans l’ultime manche, un mental d’acier inoxydable. McEnroe gesticule, invective l’arbitre, harangue la foule, mais le génie sauvage se heurte à la sérénité désespérément professionnelle du Nordique.
Après 3 heures 53 minutes et un score final de 1-6, 7-5, 6-3, 6-7 (16-18), 8-6, Borg s’impose pour la cinquième fois d’affilée à Wimbledon. Dans l’histoire, on retiendra le spectacle : un duel d’ego et de tempéraments, des passings magiques, des bandeaux mouillés et ce tie-break du siècle que même les documentaires ne parviendront jamais à rendre ennuyeux. La rivalité Borg-McEnroe atteint son sommet – yin glacé contre yang bouillant, short contre short, et pas un soupçon d’ennui sur le terrain.
Comme dans toute tragédie – ou comédie – tennistique, chacun finit par retrouver son rang : Borg, héros stoïque, sacré roi de Wimbledon ; McEnroe, génie frustré, applaudi pour sa révolte et sa théâtralité. Une conclusion sous forme d’interrogation en klaxon : fallait-il vraiment un vainqueur ce jour-là, ou juste un ticket pour ce monument de sport où l’histoire a, pour une fois, renoncé à choisir entre la glace et le feu ?