Roland-Garros, 10 juin 1984. Devant un public qui préfère le drama à la symphonie, John McEnroe débarque dans la finale avec son ego XXL, une série de 42 victoires et un bras quasiment plus bavard qu’un commentateur français. Favorite des bookmakers, il s’offre deux sets parfaits, 6-3, 6-2, et trouve même le temps d’insulter les micros de TF1, histoire de rappeler que chez lui, le filet n’est pas le seul à subir des attaques. Le tennis est parfois théâtre et le New-Yorkais excelle à jouer les Cassandre bipolaires, entre service-volée surdoué et invectives sonores.
Mais Ivan Lendl, jusqu’ici abonné au mal aimé et recordman du titre de « éternel second », se décide enfin à sortir de sa carapace de punching-ball. À force de passings aussi précis qu’une montre suisse et d’une patience digne d’un chat dans une volière, le Tchécoslovaque renverse le scénario. Troisième set : McEnroe flanche, perd son fil et ses nerfs, Lendl surgit pour remporter 6-4. Quatrième set ? Big Mac enchaîne les occasions gâchées, les double fautes et les volées ratées. Lendl ne lâche rien. Le public, toujours prompt à choisir son camp, bascule vite pour le challenger, ravi de voir la nervosité californienne se fracasser sur la terre.
Cinquième manche : la tragédie grecque dégénère en crise existentiel pour McEnroe. À 6-5, Lendl pousse le maître du filet à la faute, cueille le titre et explose sa réputation de loser. Score final : 3-6, 2-6, 6-4, 7-5, 7-5. Le Tchécoslovaque savoure enfin sa première couronne du Grand Chelem, McEnroe repart traumatisé – et condamné à ruminer l’absence de Roland-Garros dans son palmarès jusqu’à la fin des temps, insomniaque notoire.
Finalement, cette finale n’est pas juste la naissance d’un champion mais la déconstruction d’une légende un brin trop arrogante. Un monument d’échecs, de colères et de souffle coupé, où patience terrasse le génie, et où McEnroe, pour une fois, n’a pas eu le dernier mot. On retiendra la morale du jour : à Paris, rien n’est jamais acquis, surtout quand on croit déjà avoir gagné.