Huit ans chez Nike, puis un saut chez Decathlon pour quatre saisons : le CV de Jimmy Gressier a changé d’étiquette au début de l’année. Le coup de théâtre ? Lors de son titre sur le 10 000 m aux championnats du monde à Tokyo, le Boulonnais courait encore en Adidas. Victor Vantrepote, directeur sport marketing de Kiprun, résume la stratégie sans langue de bois : « On a réellement lancé la marque Kiprun, avec la nouvelle stratégie de Decathlon en 2023. » Traduction commerciale : Kiprun cherchait crédibilité et notoriété au-delà de la France, et un profil comme Gressier coche les cases sportives et « valeurs » — même région, esprit familial, partage, responsabilité.
Le compromis signé entre les deux campagnards ressemble à du pragmatisme appliqué. Kiprun avait concentré ses efforts sur la route — quatre paires à plaque carbone sorties en un an — et la piste n’était pas encore au niveau technique exigé par un top athlète. Résultat, Gressier avait prévenu qu’il « pourrait porter des pointes d’une autre marque sur les premières compétitions sur piste ». Kiprun a préféré ménager l’athlète : « Comme c’est une grosse année pour toi avec de grosses ambitions, on ne souhaite pas altérer tes performances. » Le discours se double d’une considération médicale ; changer de pointes n’est pas anodin. Victor rappelle que Jimmy a déjà souffert du tendon d’Achille après une transition de pointes, et confirme que « Rien que le fait de changer de chaussures, au sein du même équipementier, peut mener à des blessures. » Pour éviter tout accident, la maison Decathlon a relancé un projet de pointe en co‑création et accepté une période d’adaptation : prototypes testés au fil des entraînements, usage occasionnel des Kiprun à l’entraînement, et un calendrier d’une année pour trouver l’équilibre.
Les chiffres du développement parlent d’eux‑mêmes : « On a repris un projet à zéro », avec douze prototypes sur la paire de pointes finale et jusqu’à vingt modèles testés par Jimmy au total. Sur la scène sportive, Gressier n’a pas chômé : record d’Europe du 5 km en salle et sur route, 12’57 sur 5 000 m à Lille le 16 mars (NDLR : premier Européen sous les treize minutes), victoire sur le semi‑marathon des championnats d’Europe, succès au 3 000 m en Ligue de diamant, et, à Tokyo, un sacre sur le 10 000 m suivi d’un bronze sur le 5 000 m une semaine plus tard. Côté business, Kiprun se targue d’une « très belle croissance » sur les chaussures performance et carbone ; la paire « Lab », sortie en septembre et portée lors du record d’Europe, sert de vitrine commerciale. Impact observé : hausse de la notoriété et de la considération, plus d’engagement communautaire, et des ventes en hausse en France, en Espagne, en Italie et un peu en Allemagne — l’effet Jimmy, selon la marque.
Conclusion sans fard : c’est un mariage de raison. Kiprun gagne un visage et une traction commerciale. Gressier obtient la liberté de préserver ses performances et la promesse d’une pointe conçue avec lui, disponible « pour la fin de l’année » et utilisable s’il refait des compétitions sur piste. Entre co‑conception, prudence médicale et storytelling marketing, tout le monde a posé ses jalons. Reste à voir si la paire finalisée effacera les Adidas des grands rendez‑vous — ou si la transition restera, pour un temps, une histoire de compromis bien négocié.