Le 23 septembre 2000, un motard bénévole de 51 ans est fauché par un automobiliste à 2,5 grammes. C’est brutal, factuel et point final. Simon, un ami, propose alors : « Si tu veux, l’année prochaine, on organise une course en son honneur. Je t’aiderai. » Guillaume Delpech accepte, sans grand bagage d’organisateur, mais avec la tenacité d’un type qui vient du vélo après avoir été converti par une étape du Tour (Domaine du Rouret, 1984, victoire de Fons de Wolf et l’échauffourée Hinault–Fignon pour le spectacle). Premier acte : créer un club, déposer un dossier en préfecture, réunir 20 000 francs en août 2001, tracer un circuit autour de Ruoms — ascension du rocher de Sampzon, 2 km à 8 %. Premier plateau : cinquante coureurs, une banderole Crédit Agricole mitée qui ne sponsorisait même pas l’épreuve, et le camion des services techniques en guise de podium. Artisanal ? Oui. Sincère ? Aussi.
La chevauchée administrative et sportive n’a rien d’un conte. Guillaume raconte les étapes avec la froideur des chiffres. En 2004, le Souvenir Francis-Delpech bascule en Élité nationale. En 2007, la Coupe de France des clubs passe par là. En 2008 arrive le label UCI 1.2. En 2010, on franchit la porte du statut professionnel, changement de calendrier en février entre le Tour du Haut-Var et la Classic Haribo, création d’une seconde épreuve en 2013 pour faire corps avec la Drôme, et enfin diffusion télé en 2014 — coïncidence pittoresque, c’est chez eux que Romain Bardet décroche sa première victoire au plus haut niveau. Le nom évolue : Faun-Ardèche Classic et Faun Drôme Classic sur L’Équipe. Ambitions supérieures ? Guillaume en rêvait : World Tour, Mondial. Le coup de frein est administratif : l’Union cycliste internationale n’accorde pas de nouvelle licence WT aux pays « berceau du vélo » et le Mondial 2027 est attribué à Sallanches. Solide plan B : organiser les Championnats d’Europe, du 1er au 5 octobre, avec un budget de 2 millions d’euros et la promesse d’un plateau de rêve — Tadej Pogacar, Remco Evenepoel, Pauline Ferrand-Prévot figurent sur la liste des attendus.
L’essor a coûté. Transition télévisuelle rime avec découvert bancaire : 80 000 euros empruntés pour combler un trou, huit ans pour rembourser. Le noyau dur reste une quinzaine de personnes, parfois plus âgées, mais la logistique mobilise 700 bénévoles le jour J. Simon, fidèle au mugissement initial, est devenu speaker. L’esprit villageois survit dans la devise locale qu’on entend encore : « Ardéchois, coeur fidèle. » Professionnellement, le fondateur a bifurqué vers la promotion immobilière. Humainement, le deuil reste le moteur discret. Le chauffard a été condamné, pas à de la prison ferme ; cette sanction, Delpech la juge insuffisante compte tenu des conséquences sur les survivants. Il l’a dit, sans outrance.
Conclusion sobre, presque cynique : d’une tragédie personnelle est née une structure qui a grandi jusqu’à la télévision et aux championnats continentaux. La mémoire familiale a été rangée en arrière-plan — Delpech a retiré l’appellation « Souvenir » vers 2010 parce que « ça remuait trop de choses » — mais elle travaille toujours en coulisses. L’événement est devenu affaire, passion et outil de reconstruction. Guillaume pense à son père pendant ces échéances. Le deuil a cicatrisé, mais la cicatrice reste visible au premier rayon de soleil sur la ligne d’arrivée.