La Meinau va se taire ce vendredi. Les ultras alsaciens ont annoncé une grève des encouragements « jusqu’à nouvel ordre », réponse directe à une escalade entre la direction du Racing et son multipropriétaire BlueCo. Le déclencheur n’a rien d’extraordinaire : l’annonce — prématurée aux yeux de certains — du transfert d’Emegha vers Chelsea, et la photo de son capitaine souriant en maillot de son futur employeur trois matches seulement après la reprise. Chelsea, d’après le communiqué relayé, a « concluded a deal » et l’attaquant rejoindra le club en 2026. Résultat : banderoles, communiqués, huées et, désormais, silence militant dans les tribunes.
Quatre associations sont au centre de la tempête : Ultra Boys 90, Kop Ciel & Blanc, Pariser Section et la Fédération des supporters du Racing. Elles avaient cosigné un appel au dialogue, resté lettre morte, puis ont choisi la voie de la protestation collective. L’escalade a pris une forme administrative et pécuniaire. Marc Keller, piqué par des banderoles qui l’invitaient à « s’en aller » et demandaient à Emegha de « rendre [son] brassard », a qualifié ces messages d’« inacceptables » et a estimé qu’ils « ne respectent plus les règles ». Pour faire bonne mesure, le président a convoqué une conférence de presse entouré de ses cadres et annoncé des sanctions contre ces groupes. Alexandre, porte‑parole des associations ciblées, n’appelle pas à la demi‑mesure : « C’est la preuve qu’on a touché un point sensible », dit‑il, et il dénonce : « Que nos membres subissent des répercussions pour des critiques émises via un communiqué ou des banderoles, c’est inacceptable. »
Les mesures ne sont pas que symboliques. Fin du libre accès aux locaux situés dans le stade pour installer les tifos, obligation d’un contrôle préalable des banderoles, arrêt des facilités de billetterie pour les déplacements, suppression de la gestion des Ecocups qui servait de caisse pour les animations, billetterie nominative, facturation des remises en état des parcages après déplacements… À cela s’ajoutent des annulations de billets pour des matches de Coupe d’Europe et, selon les associations, des « prises d’identité illégales » par une sécurité privée visant des supporters porteurs d’un drapeau « BlueCo Out ». Les huées dans les gradins ont été relayées par une pluie de messages sur les réseaux, certains appelant à l’ostracisme des contestataires et traitant ces derniers « des plus ingrats ». Le passage d’une relation jusque‑là fusionnelle à une relation de contrôle est manifeste ; la convention pour la sécurisation des rencontres, signée en juin, sert de cadre à certaines mesures, mais l’interprétation en devient politique et répressive.
Ironie ultime : ce sont ces mêmes travées, ces mêmes ultras « turbulents » qui ont porté le Racing des divisions amateurs à la Ligue 1 et attiré les capitaux de BlueCo. Marc Keller l’a bricolé, le club a été acquis pour un euro symbolique en 2012, et la suite aura permis de dégager près de 75 millions d’euros de plus‑value aux portes des investisseurs qu’on accuse aujourd’hui d’étouffer la dissidence. Priver de chants ceux à qui l’on reproche ensuite de ne pas chauffer l’ambiance tient d’un art consommé de l’oxymore. Le silence de la Meinau sera donc davantage qu’un manque d’ambiance : il dit que l’heure n’est plus aux embrassades, mais aux comptes et aux contrôles. Et si le spectacle n’est plus que cela, alors tout le monde pourra applaudir le vide.