Séville, 8 juillet 1982, stade Ramón-Sánchez-Pizjuán, une soirée pas comme les autres pour le football. La France, délestée de son statut de favori, déroule son jeu aérien et technique, mène 3-1 en prolongation, avec des noms qui faisaient encore frémir les défenses : Platini, Giresse, Trésor. L’Allemagne de l’Ouest, une machine huilée mais souvent critiquée pour son pragmatisme froid, allait vivre une nuit que même Hollywood n’aurait pas osé scénariser.
Au cœur du chaos, un geste pour le moins délicat, voire brutal, marquera les esprits à jamais : Harald Schumacher, gardien allemand, découpe Patrick Battiston sans jouer la carte du carton jaune, ni rouge, ni… rien du tout. Le défenseur français est évacué inconscient, les yeux vitreux, la poitrine déformée, un coup digne d’un char d’assaut lancé dans la mêlée. L’arbitre fait l’autruche, et le match repart comme si de rien n’était. Il faudra un esclandre pour que la victime, choquée au-delà du geste lui-même, ne quitte pas le terrain seul. Étonnamment, cette boucherie restée impunie allait galvaniser les Bleus, qui poussent leur avantage jusqu’à 3-1 et croient tenir leur rêve de finale.
Mais comme rares sont les contes de fées sans arrière-goût d’amertume, l’Allemagne revient d’entre les morts. Rummenigge et Fischer réduisent d’abord l’écart, puis la Mannschaft arrache un 3-3 avant la fin de la prolongation. En pleine panique, les Français voient leurs espoirs s’éteindre face à un Schumacher devenu héros malgré lui, repoussant un penalty pendant la séance de tirs au but. La première séance d’élimination aux tirs au but en Coupe du monde s’inscrit ainsi dans la douleur nationale, enclenchant une rancune tenace et une mémoire collective douloureuse.
Cette nuit de Séville, drame sportif et psychologique, dépasse bien le cadre d’un simple match. Elle aura durablement marqué la relation footballistique franco-allemande, alimentant rancunes, débats sur la justice du terrain et souvenir d’une injustice qui n’a jamais été réparée. Aucun héros ne relève d’une épique victoire, juste le spectre d’une finale rêvée qui s’évanouit dans la nuit espagnole, à cause d’un choc violent et d’un sifflet défaillant.