Le nom de l’ascension n’était pas juste décoratif. Le Val d’Enfer, 1,7 km à 9,7 % de moyenne, a dicté le tempo de la journée et servi de théâtre à une fin de course pas très gentille. Tadej Pogačar a lancé la pièce maîtresse dès 75 km de l’arrivée et, oui, le peloton a explosé comme prévu. Remco Evenepoel a eu la mauvaise humeur assortie à son efficacité : agacé par l’attentisme, il s’est envolé seul pour tenter de revenir sur Pogačar. Ça sentait la grosse cartouche, ou la longue solitude, au choix.
Paul Seixas n’a pas regardé sa montre. Collé à la roue d’Evenepoel après l’attaque, il a partagé le petit groupe de chasse avec Juan Ayuso et Christian Scaroni. L’entente était bancale. Le Français l’a résumé sans lyrisme : « Au début j’avais la consigne de ne pas passer de relais, mais après on m’a donné le feu vert. » Même consignes, mêmes hésitations, mêmes torsions de course : le style classique des jours où tout peut basculer. Seixas savait aussi ce qu’il ne pouvait pas faire. Manquant de pointe de vitesse, il n’espérait ni jouer le sprint ni blaguer avec ses adversaires. Il a choisi l’option la plus risquée — et la plus théâtrale — : multiplier les offensives dans le dernier tour.
Cette stratégie a payé. Après plus de 200 km, il a relancé encore et encore, et, à trois kilomètres de la ligne, il a fait céder d’abord l’Espagnol, puis l’Italien. Le résultat est simple et cru : Pogačar et Evenepoel devant, Seixas sur le podium européen. Les citations dans le texte ne cherchent pas à enjoliver : « Quand j’ai essayé de suivre Remco et Tadej, je me suis dit dans le premier Val d’Enfer qu’il fallait tenter le tout pour le tout, raconte-t-il. J’avais peur de payer mes efforts, mais au final, tout au long de la journée, j’ai réussi à ne pas craquer. » Son sourire et ses mots — « Je ne pouvais pas m’en aller sans me battre jusqu’au bout », « Ça restera gravé dans ma mémoire toute ma vie » — disent l’essentiel sans exagération. Le fait qu’il n’ait « même pas pris [son] paquetage » ce matin-là ajoute une touche d’incrédulité presque comique à la scène.
À 19 ans, sous les couleurs de Decathlon AG2R La Mondiale, Seixas a offert une performance qui vaut plus qu’un cliché de bravoure : gestion de course, intelligence tactique, répétition d’efforts dans un final qui a grillé d’autres. Ce podium européen derrière Pogačar et Evenepoel ressemble à une victoire déguisée. Le garçon a levé les bras comme s’il avait franchi la ligne en tête, et, dans le regard des autres et des observateurs, il récupère une place parmi les espoirs à surveiller. La rhétorique du prodige n’est pas surjouée ici ; la journée parle pour lui.
Reste que ce n’est pas encore la gloire définitive. L’inscription au palmarès est nette : troisième derrière deux noms du haut du panier. La sensation, elle, est plus subtile. Si la course a livré une leçon, c’est que le panache punit rarement les prudences absolues. Seixas a pris le risque et s’est construit une mémoire de coureur qui n’attend pas le signal pour tenter sa chance. Pour le reste, il faudra le répéter, confirmer, et surtout ne pas oublier son paquetage la prochaine fois.










































